Les collectivités territoriales utilisent désormais la rémunération comme un véritable outil de gestion des ressources humaines. Elles l’intègrent dans une politique globale, cohérente avec les autres leviers qui influencent concrètement le niveau de vie des agents.
Le point de vue d’un expert des enjeux de la fonction publique territoriale, en termes de politique RH (Ressources Humaines) et de qualité de service usagers.


Johan Theuret est Directeur général adjoint de la Ville et Métropole de Rennes et ancien président de l’association des DRH des grandes collectivités. Il est l’un des 15 fondateurs du think tank « Le Sens du service public » et nous partage son point de vue sur le besoin de donner aux agents de la visibilité quant aux perspectives d’évolution de leur rémunération fixe.
Un socle qui détermine selon lui la place de place des leviers de la rémunération accessoire complémentaire où l’on retrouve l’alimentation ou encore la santé. L’occasion de nuancer les vertus d’une rémunération variable au mérite appliquée aux fonctionnaires et de battre en brèches quelques idées reçues.
A quel point pèse le gel du point d’indice dans la rémunération des fonctionnaires, avec quelles conséquences ?
De 2010 à 2021, la valeur du point d’indice sur lequel repose la rémunération fixe des fonctionnaires a été gelée notamment suite à la révision générale des politiques publiques (RGPP) qui visait une baisse des dépenses publiques. En mars 2025, l’INSEE a révélé que le salaire net dans le public était inférieur de 3,7 % à celui du privé. La fonction publique, qui emploie près de 5,6 millions de personnes, connaît aujourd’hui un risque de paupérisation inquiétante, avec près de 25 % des agents qui gagnent moins de 2 000 euros par mois et 230 000 fonctionnaires payés au smic.
Contrairement à certaines idées reçues, depuis dix ans, les salaires dans le public ont augmenté trois fois moins vite que dans le privé. Et c’est dans la fonction publique territoriale que la situation se trouve la plus dégradée. La progression de la rémunération selon la progression de carrière ou encore les primes qui représentent en moyenne 24 % du traitement global ne compensent pas le gel du point sur une longue période. Les fonctionnaires ne peuvent se satisfaire de n’avoir aucune visibilité sur l’évolution de leur rémunération fixe. C’est comme s’il n’y avait pas de négociation annuelle sur les salaires dans le secteur privé.
Le « Sens du service public » ne propose pas une augmentation automatique annuelle de la valeur du point mais à tout le moins un engagement pluriannuel sur 3 à 5 ans et une discussion annuelle avec les partenaires sociaux sur le sujet des rémunérations. La dernière revalorisation du point date de 2023 alors que nous étions dans un contexte inflationniste, dans une situation d’urgence.
Le gel du point d’indice a créé une incertitude néfaste pour les agents et offert une mauvaise habitude aux pouvoirs publics. Ces derniers se sont habitués à vouloir limiter, avec le succès qu’on connaît, les dérapages budgétaires par les non-revalorisations salariales…Une politique de rémunération ne doit pas se dérouler par à coup. Elle doit être régulière. C’est ce qui permet de donner de la visibilité et de tirer vers le haut les leviers indirects comme les titres-restaurant ou encore les couvertures de la protection sociale complémentaire.
Dans le contexte de déficit public, une augmentation de la valeur du point est-elle acceptable par la société ?
Il y a un paradoxe. Les Français sont attachés à leur service public et en attendent beaucoup mais ils rechignent en revanche à le financer. Ce serait un vrai choix politique que de réduire des dépenses pour donner plus de marge de manœuvre sur la rémunération du service rendu par les agents. Mais ce n’est clairement pas la tendance.
En quoi le fait de pénaliser financièrement les agents absents pour maladie illustre une stricte approche budgétaire ?
L’objectif vise à faire des économies en sanctionnant les agents à hauteur de 10 % du salaire dû pendant l’arrêt, en l’ajoutant à la journée de carence déjà existante. Cela ne va pas réduire l’absentéisme et cela laisse à penser que les agents profitent du système des arrêts alors que le délai de carence n’est déjà pas compensé contrairement au privé où 80 % des entreprises le prennent en charge. C’est un sous-entendu malsain.
Pourquoi la rémunération variable au mérite n’est-elle pas la solution ?
Les diverses primes, qui n’entrent pas dans le calcul des droits à la retraite, représentent en moyenne déjà près d’un quart de la rémunération globale des fonctionnaires. Le discours entretenu par les décideurs publics sur le développement d’une rémunération variable au mérite qui reposerait sur des indicateurs individuels de performance comme dans les entreprises du secteur privé occulte une particularité majeure des services publics.
À la différence du secteur privé, la hausse de la performance des agents publics ne crée en effet pas de richesse monétaire supplémentaire à redistribuer. Il y a un jeu de dupe qui est source de confusion. Les usines à gaz sur lesquelles reposent une rémunération dite au mérite risquent fort de se substituer à des primes déjà existantes car la fonction publique n’a pas les moyens de financer les gains de performance de ses agents.
Le discours sur la rémunération au mérite entretient en outre une autre source de confusion puisque la progression dans la carrière, au titre de l’avancement de grade ou de la promotion interne dépend de la valeur professionnelle et de la manière de servir des agents.
Cette situation crée les conditions d’une pénurie de personnel avec un nombre de postes vacants sans précédent. 64 % des collectivités signalent des métiers en tension. Cette pénurie affecte directement la qualité des services rendus aux citoyens et engendre une surcharge de travail pour les agents en poste.
Quelle place dans ce contexte aux leviers périphériques de la rémunération globale ?
Sans surprise, nous manquons de marge de manœuvre budgétaire pour proposer des leviers de rémunération, tels que les titres-restaurants, la complémentaire santé ou les CESU (Chèques Emploi Service Universel) préfinancés, que les employeurs du secteur privé ne se privent pas de mettre en avant, notamment au moment des recrutements. Ce sont des avantages attendus par les salariés. Il nous faut donc faire en sorte de les proposer même si la valeur nominale moyenne des titres-restaurant par exemple est inférieure à celle que l’on retrouve dans le privé. Ça reste pour autant important de l’intégrer car la majorité des agents n’ont pas accès à des services de restauration collective et c’est un véritable amortisseur de la baisse du pouvoir d’achat. Aider les agents à se nourrir est essentiel.
La clé de leur développement passe par des conférences salariales pluri annuelles, gages de visibilité, qui mettront en perspective la valeur du point, les grilles indiciaires, les primes et les leviers envisageables d’une rémunération indirecte. Une chose est certaine, si ces leviers sont banalisés dans le secteur privé, c’est loin d’être le cas dans la fonction publique. Aussi, cela devient un élément différenciant quand une collectivité parvient à dégager une ligne budgétaire pour les financer.
« Le Sens du service public » : c’est quoi ?
Ce think tank regroupe des agents publics issus des trois versants de la fonction publique : territoriale, hospitalière et État qui s’emploient à objectiver les moyens d’action des services publics. Une devise : “Moderniser le service public sans trahir ses valeurs”
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